mardi 31 mai 2011

De Luc-Olivier d'Algange...


Dès les premières pages de son Traité de la Foudre et du Vent, Henri Montaigu nous prévient : "La foudre est le regard de Dieu qui transperce". Il nous dit aussi : "A qui de droit, - comme devise". Et ceci encore : "Exilé de l'intérieur, le poète appartient au Royaume qui est au dedans".
Nous sommes quelques uns à ne pas prendre ces mots à la légère, à entendre ces formules comme une
mise-en-garde. Un écrivain français, quoiqu'il en veuille, est plus étroitement lié à son pays, à ses prédécesseurs, poètes et bâtisseurs, Saints ou héros, promeneurs ou rêveurs que ne saurait l'être un individu dont le destin n'est point embrassé ni embrasé par une gratitude plus grande que toute oeuvre possible. Le monde moderne est fait de ces prédateurs économiques, de ces hommes aux "carrières" tracées, de ces planificateurs, sans états d'âme ni de conscience, amoureux de leur servitude, au point d'y sacrifier leur style et leur honneur. Ces gens-là n'entendent rien, plus rien ne leur est grâce, ils méprisent leur passé et celui de leur pays et se trouvent en tout supérieurs à leurs ancêtres.
Quand bien même nous ne serions finalement que des arbres foudroyés, nous sommes fait d'un autre bois. Nous sommes
auteurs, c'est dire que nous avons assez peu de comptes à rendre aux notables actuels des Lettres ou de la politique. Nous partageons avec Dominique de Roux ce soupçon d'une déchéance orchestrée, d'un obscurcissement ourdi de toute poésie et de toute métaphysique, d'un appauvrissement à dessein de notre langue, sinon d'une persécution de ses Servants les moins obséquieux. Tout esprit libre tient désormais pour une évidence que la "pensée unique" est avant tout une non-pensée, un triomphe de la lettre morte.
Ce monde moderne que l'on nous presse de vénérer, il faut bien qu'il eût son horreur inscrite sur sa figure, pour que, n'en ayant jamais connu d'autre, nous n'eussions de cesse, aussi loin que remontent nos souvenirs, de guerroyer contre lui.

in la revue CONTRELITTERATURE, n° 3, été 2000.

lundi 30 mai 2011

Du si lucide Baudelaire...


"Il est impossible de parcourir une gazette quelconque, de n'importe quel jour, ou quel mois, ou quelle année, sans y trouver, à chaque ligne, les signes de la perversité humaine la plus épouvantable, en même temps que les vanteries les plus surprenantes de probité, de bonté, de charité, et les affirmations les plus effrontées relatives au progrès et à la civilisation.

Tout journal, de la première ligne à la dernière, n'est qu'un tissu d'horreur. Guerres, crimes, vol, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d'atrocités universelle.

Et c'est de ce dégoûtant apéritif que l'homme civilisé accompagne son repas chaque matin. Tout en ce monde sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l'homme.

Je ne comprends pas qu'une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût."


in "Mon coeur mis à nu", LXXXI, Baudelaire,
Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade.



dimanche 29 mai 2011

Par Henry Miller, un des témoins, si vivant, du XXème siècle, décrit ici, involontairement, le XXIème siècle, si mal parti...


Dans notre espèce de communauté, et en tous lieux que marque la griffe impérieuse du "Progrès", cette hydre à cent têtes fait de nous un terrible carnage. Nous sommes ravagés par le téléphone, la radio, la télévision, l'automobile, la pollution atmosphérique, les insecticides, les émeutes raciales, la technologie, les voyages interspatiaux, la recherche nucléaire, l'alcool, le tabac, les aliments frelatés et empoisonnés, la publicité (à mort les réclames!). Sans compter, bien entendu, le reste, - les menus soucis, les assurances contre ceci ou cela, l'assassinat, le viol, l'incendie volontaire, une guerre ou deux, la bombe atomique, la Chine et autres formes, sortes ou manière de rougeoles et de scarlatines idéologiques qui font rage de ce côté-ci du paradis ou de l'autre.


Henry Miller, in "Ma vie et moi".

jeudi 26 mai 2011

DU GRAND PENSEUR RUSSE NICOLAS BERDIAEFF...


"L'Histoire a échoué. Il n'y a pas de progrès et l'avenir ne sera pas meilleur que le passé.

Pourtant il y eut plus de beauté, jadis. Après sa période de floraison, le niveau qualitatif de la culture est en baisse. La volonté de sainteté et de génie s'éteint et la soif de domination, le désir d'une existence confortable prennent le dessus. Les plus hautes ascensions spirituelles appartiennent aux époques révolues. Le temps de la décadence spirituelle correspond au triomphe du bourgeois. Les figures de chevalier et de moine, de philosophe et de poète, sont remplacées par celle du "bourgeois" assoiffé de domination universelle, conquérant, organisateur et businessman. Le centre de sa vie se déplace.
L'ordre organique et hiérarchique étant transgressé, le centre vital est transféré à la périphérie. Telle est l'époque de la civilisation mécanique, industrielle et capitaliste d'Europe et d'Amérique."

NICOLAS BERDIAEFF